Une journée, quatre saisons. L’Irlande.
1972. Bloody Sunday. Un choc qui prêtera son nom à une chanson culte dès le lendemain du massacre. Un jour. Du sang. Des ados. 2002. Un film réalisé par Greengrass. Herbe verte… un nom prédicateur. Presque un documentaire sur la paix quand elle est massacrée. Un tournage kaléidoscopique qui n'oublie aucun point de vue. Irlandais et anglais, tout en démontant la version officielle et pas belle en plus. Une brutalité épaisse. Alors on prend son sac et on veut aller voir. D’un peu plus près. Londonderry, des rues, les briques rouges d'un monde ouvrier, étrangement le rouge leur est souvent associé. Sur le drapeau, et sur le sol aussi. Quelques rencontres, témoignages de femmes et d'hommes qui veulent bien se souvenir pour moi. J'insiste un peu. Lorsque la curiosité amuse elle dédramatise le propos. Ils me parlent alors de ces enfants tombés trente années en arrière, leurs cris ne raisonnent plus mais leur empreinte est inscrite sur le marbre d'un souvenir en pierre. Quel âge auraient-ils aujourd'hui ? Question récurrente concernant celles et ceux qui partent trop tôt. Je vis l’endroit où des parachutistes en armes shootent des gamins. 14. Je suis dans cette belle région de l'Ulster, à 110 km de Belfast, là où les murs puent encore la guerre et que les trottoirs portent la couleur des religions. Je veux m'installer en Irlande mais je ne trouverai pas de boulot dans cette région. Y en a à peine pour les irlandais. Le Commonwealth… J'adore les grandes idées. Dommage, la nature y est splendide et j’appréciais bien ma Guiness au bord de la Foyle sous le Peace Bridge. Je pars à Dublin. Là-bas, l’Europe s'y est installée grâce aux américains. Je fréquente rapidement les pubs. J’adore l’alcool. Une religion. Pour eux et pour moi. Pinte de Guinness à la main, parfois les deux, sur fond de “rebel songs” jouées en live. Dans l'arrière-cour du Celt, j'échange rapidement. En Irlande, la communication est aussi facile que de se gratter le nez. Certains sont des membres de l'IRA, la fameuse irish republican Army. Je leur dis que je reviens de la patrie de Martin MacGuiness, un des grands patrons de l’IRA. Ca leur plaît. Des pères de familles aujourd'hui soulards car le combat est poursuivi par le bras politique du parti Sinn Fein. Leurs armes se rouillent mais ils ont toujours le souvenir des famines d'antan, vécues par eux ou racontées par leurs aïeux, infligées par la royauté. Cette organisation armée est placée sur la liste officielle des groupes terroristes des États-Unis et du Canada. Gardons de bonnes relations avec le Royaume-Uni.
Mais oublions cela. L'Irlande est majestueuse, cette Terre qui absorbe la pluie comme les irlandais absorbent la bière répète-t-on souvent ici. J'ai pris l'habitude de filer à Howth tous les dimanches, port de pêche dans le Comté du Fingal, souvent isolé par le passé par des grandes tempêtes. J'y achète toujours de délicieux œufs de canards. Légèrement plus gros que ceux des poules. Par là-bas j'aperçois un couple de dauphin à gros nez et leur rejeton qui ne loupent jamais le rendez-vous de la criée. Au loin, un phoque gris (Halichoerus grypus) tentera aussi de récupérer quelques poissons jetés par les pêcheurs capricieux. Assis, sur la digue du phare (j’adore les phares et j’ignore pourquoi) j'observe cette joyeuse scène en ce jour du Seigneur, si important pour ces catholiques d'Irlandais. Bloody Sunday semble loin. Mais que de rage et de luttes pour atteindre ces moments de sérénité. Me vint alors à l'esprit cet étrange vers du poète irlandais Seamus Heaney, très apprécié en Eire. “Y a t-il une vie avant la mort ?”
Comme le temps d'Irlande, mon esprit a traversé aujourd’hui les quatre saisons.
Mais devant l'impression de ce soleil couchant, il me semble entendre la voix d'une enfant unique qui répond à ma rêverie poétique. I’am here…