Rwanda, le tour d’un pays silencieux
Kigali, capitale d’un pays où la terre se resserre autour du regard, infinie et pourtant toujours marquée par le poids de ses luttes. Sous le ciel lourd de promesses et de blessures anciennes, la ville s’étend, entre montagnes et rivières. Ses rues vibrent d’une énergie discrète, mais le vent porte aussi la trace de ce que l’on ne veut pas dire, ce qui ne se dit jamais entièrement. Le Rwanda, dans son mouvement, porte en lui un passé qui ne se dissipe pas, une guerre qui reste une ombre au-dessus des sourires.
L’enfant, cet espoir.
Le parc d'Akagera, premier souffle de nature que l’on rencontre dans ce pays. Là, les savanes s’étendent à perte de vue, parsemées de la silhouette noble des girafes, lentes et majestueuses, leurs cous frêles battus par le vent. La beauté des plaines semble sans fin, mais elle cache une douleur silencieuse. Les éléphants, imposants, marchent comme des témoins d’une histoire ancienne. Leur majesté est aussi un avertissement : dans ce pays, même les plus forts portent en eux la mémoire d’une destruction qui a ravagé des vies. Le rhinocéros, presque mythologique dans sa solennité, se déplace à l’ombre de ses blessures passées. Son petit près de lui. La violence humaine a redessiné les contours de la terre, et, pourtant, les animaux persistent, résistent, comme si la nature elle-même pouvait oublier ce qu’il en coûte d’être humain.
Sur les rives de Nyagatare, là où les montagnes bordent la terre avec une beauté rude, l’âme du pays se dévoile d’un autre visage. Les acacias, aux branches torturées, s’élèvent comme des sculptures naturelles, gravées par le vent et le temps. Les vaches rwandaises, aux cornes larges et sombres, semblent être les gardiennes d’un silence sacré, comme si chaque geste, chaque regard, chaque pas vers l’avenir, portait la mémoire de ceux qui ont souffert. La terre ici est douce et fertile, mais les hommes qui la cultivent ne peuvent oublier l’héritage lourd qui pèse sur leur existence. La beauté de ce lieu n’est qu’un voile que la guerre ne cesse de déchirer, un rideau qu’il faut toujours écarter pour voir ce qu’il y a au-delà.
De l’autre côté, à Goma, la guerre aujourd’hui se donne à voir dans chaque ruine, dans chaque souffle brisé. La ville, autrefois pleine de vie, est un champ de ruines. Les maisons effondrées sont des mémoires de violence, de conflits intenses, là où la beauté de la nature semble faire écho à la douleur. Mais cette terre, défigurée par l’absurde, garde en elle une trace de résilience. Les palmiers qui poussent à la lisière de la ville, leurs racines profondément ancrées dans la terre, témoignent de ce que la vie peut offrir, même dans les lieux où l’âme se fait plus lourde, plus éteinte.
Ici, sous le soleil éclatant, les bêtes se croisent sans savoir, peut-être, que la guerre n’est jamais vraiment loin. Chaque pas est une réminiscence de ce que la paix a de fragile.
Dans les villages, les sourires sont sincères, mais parfois, l’on lit dans les yeux des passants un appel muet à la mémoire
Au sommet du Mont Karisimbi, la majesté des montagnes est une poésie silencieuse. Là, la flore alpine se fait rare, presque figée dans l’air glacé. Les cèdres et les pinèdes qui s’élèvent entre les roches semblent figer le temps, comme des statues qu’aucune guerre n’a pu faire tomber. Mais, tout autour, l’air est lourd de l’écho des guerres passées. Les oiseaux qui volent au-dessus des crêtes portent peut-être en eux un message : que tout ceci, la beauté comme la souffrance, n’est qu’un cycle éternel, sans fin. Ce que l’homme a défiguré, la nature tente de réparer, mais à quel prix ? Les montagnes ne jugent pas, elles observent. Peut-être que leur grandeur est leur manière de nous faire comprendre l’absurdité de l’existence. Ici, le bonheur des jeunes.
Le lac Kivu, étendu et insondable, présente ses rives comme un miroir aux multiples facettes. Ses eaux calmes semblent dissimuler les douleurs du passé, le poids de ce qu’elles ont absorbé. La flore qui borde le lac, des nénuphars délicats aux herbes basses, crée une illusion de paix. Mais tout autour de ce miroir liquide, il y a le souffle des vivants, et la terre, qui rappelle l’impossible réconciliation. Chaque vague semble porter avec elle un écho du passé, chaque reflet dans l’eau est une image d’un monde qui ne pourra jamais tout effacer.
Enfin, à Ntarama, les corps des Tutsis, pétrifiés dans la chaux, parlent d’une violence qui ne trouve plus de mots. Leurs visages figés, porteurs d’agonie, d’espoir et de terreur, sont un appel à la conscience humaine. Ces souvenirs, écrits dans la terre, dans la douleur de l’humanité, sont là pour être lus. La flore, à proximité, se dresse néanmoins. Les plantes de la région, des lianes aux fleurs tropicales, continuent de croître, comme si elles ignoraient que tout ceci a été semé dans la guerre. La nature, peut-être, n’est pas ce que l’on croit. Elle n’oublie pas, mais elle continue. Et dans cette constance de la vie, dans la beauté du végétal qui pousse à travers les os et les cendres, se cache peut-être une vérité : tout ce qui meurt, renaît d’une manière ou d’une autre.
Le Rwanda, avec sa faune et sa flore si présentes, nous offre une réflexion douloureuse : la beauté n’est ni pure, ni innocente. Elle est traversée par les fractures, les cicatrices invisibles que la guerre laisse derrière elle. Les animaux, les arbres, les montagnes, et même les eaux, semblent détenir une sagesse que l’humain perd parfois de vue, celle qui rappelle que la nature, elle, vit et meurt sans en comprendre la raison. Si le Rwanda nous parle à travers sa beauté, il nous parle aussi, à chaque souffle du vent, de la fragile illusion de la paix, de l’éternelle absurdité du monde. Et là, une enfant qui fait une pause presque mystique pendant que ses chèvres broutent hors champ.