Les inscriptions du Pont-du-Gard: gravures, histoires et mystères.

Le Pont du Gard, imposant colosse de pierre dorée, semble s’élever hors du temps. Ses arches, magistrales, s’étirent avec la précision d'un poème gravé dans le calcaire. Cet édifice, témoin des siècles, porte sur ses flancs les stigmates de l’éternité et les traces de ceux qui l’ont effleuré de leur passage.

Lorsque j’étais enfant, ce pont était mon refuge. Ses courbes monumentales se reflétaient dans l’eau calme du Gardon, où je venais chercher la fraîcheur des étés brûlants. Je me rappelle les senteurs résineuses des pins d’Alep, le bruissement discret des oliviers sous la brise et les cigales inlassables, comme une symphonie d’été. Mais ce qui m’émerveillait le plus, c’était le pont lui-même. Chaque pierre me semblait vivre, chargée des échos de vies passées.

Sous les arches du pont, je découvris, à l’abri de l’ombre, ces gravures étranges, griffures du temps laissées par des mains anonymes. « Hachette », était gravé profondément, comme un cri retenu depuis des siècles. Je cherchai pas loin un 1800 et quelques espérant qu’il était celui dont les pages m’avaient fait tant rêver. Rien. Je m’imaginais alors un simple artisan, héritier des constructeurs romains, rendant hommage au monument qu’il traversait. « Pichardou, 1843 », à côté d’un « Jean Hd, 1830 », semblaient être les signatures d’âmes romantiques, contemplatives, trouvant dans ce lieu la source d’un rêve ou d’un repos. Et puis, il y avait « Marie Ruche, 1900 », trace tendre et fugace d’une femme au seuil d’un siècle nouveau. Chaque inscription était un éclat d’histoire, une voix murmurant dans le silence minéral du pont.

À mesure que je grandissais, mon regard sur le pont changeait. Je ne voyais plus seulement l’œuvre humaine mais également l’alliance mystérieuse entre l’architecture et la nature environnante. Le Gardon, rivière d’argent, coulait sous ses piliers massifs, charriant ses eaux vives autour des galets blancs. Des martinets traçaient des cercles rapides au-dessus des arches, tandis qu’à l’aube, les hérons cendrés planaient gracieusement, silencieux gardiens de ce sanctuaire. Je ne prenais pas de photo à cette époque, seuls mes yeux pour s’imprégner.

Les pins s’accrochent aux falaises, fiers et résistants, tandis que les figuiers, plus modestes, bordent les chemins, répandant leur parfum sucré. Au printemps, les genêts éclatent en un jaune éblouissant, et les griffes de sorcière rampent sur les rochers, apportant une touche d’étrangeté à ce paysage si familier.

Il y a aussi une présence invisible, mystique, presque palpable. La nuit, sous le clair de lune, le pont semble s’animer. Ses ombres s’étirent et dansent, et l’on croirait entendre le murmure des pierres. À ces heures, je m’imaginais les compagnons du devoir, ces maîtres d’œuvre, qui, selon la légende, laissaient des marques discrètes pour sceller leur passage. Ces symboles sont autant de messages secrets qu’ils ont confiés à la pierre pour qu’elle les protège. Le Pont du Gard n’est pas seulement un édifice. Il est un gardien, un observateur. Il a vu les cohortes romaines fouler son chemin, entendu les rires des bergers et recueilli les soupirs des amants.

Je vois alors dans ces gravures une réponse à mes propres souvenirs, un écho entre mon histoire et celle, immuable, du pont. Et tandis que je m’éloigne, les cigales reprennent leur chant, et ce géant à 6 piliers comme un insecte de pierre, témoin silencieux, continue d’observer le flot des vies qui passent.

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